Après l'Afrique, destination l'Himalaya bouddhiste. Je pédale sur les pistes du Zanskar puis du Ladakh, en compagnie de mon paternel, toujours bien en forme du haut de ses 67 ans.
Ancien royaume niché au fond de profondes vallées érodées, au nord de la chaîne principale de l'Himalaya, le Zanskar possède cette rare faculté de stimuler l'imagination à la seule évocation de son nom. Le Zanskar fait partie de l'Etat indien du Jammu et Cachemire. Il appartient par contre clairement à la sphère d'influence de la culture tibétaine, que ce soit en matière religieuse (le bouddhisme tibétain), architecturale ou linguistique. Heureusement, l'Inde est une démocratie qui respecte, bon an mal an, la diversité culturelle, contrairement à la Chine voisine où la seule politique reste celle de l'assimilation à la culture dominante - Han chinoise - par la force et la destruction s'il le faut.
Quel bonheur que de pédaler à nouveau sur le toit du monde! Par contre la mémoire possède la capacité de ne se rappeler que du meilleur. Nous sommes vite ramenés à la réalité par l'air raréfié de la haute altitude, l'état catastrophique des pistes et le poids considérable de notre chargement. Chaque jour il faut se battre pour parcourir soixante misérables kilomètres, puis monter la tente et se cuisiner un frugal repas, avant de sombrer dans le sommeil de la brute. Malgré tout, je n'échangerais ces fatigues contre rien au monde, tant la beauté étherée des hautes terres comble l'esprit qui la contemple.
Sur la route du Zanskar, en passant le Pentse La et ses 4'400 m
Nos montures, ainsi que des camions bariolés sur la "route" du Zanskar
Serge, bien en forme sur la rude piste du Zanskar
Relié au reste du monde depuis moins de 30 ans par une piste à peine carrossable (je l'ai appris à mes dépens...), ceci uniquement sept mois par année, le Zanskar - tout comme la culture tibétaine de manière générale - a su élaborer un mode de vie auto-suffisant, presque autarcique, qui tient du miracle tant l'environnement de ces hautes montagnes se montre rude : froid, sécheresse, manque de terres arables. L'irrigation de minuscules parcelles et la parcimonie dans l'utilisation des ressources ont permis cet exploit.
Paradoxalement, c'est aujourd'hui où la modernité risque de bouleverser irréversiblement l'équilibre de cette société, que ses enseignements en matière d'écologie et d'adaptation au milieu naturel se montrent si nécessaires au reste du monde.
C'est actuellement la fin des moissons. Tous les travaux, que ce soit la moisson ou le transport du fourrage, s'effectuent à la main. L'échelle réduite des champs crée une mosaïque colorée, qui produit un contraste saisissant avec les rudes pentes minérales alentour. Certes, ces travaux semblent durs, d'un autre âge, et pourtant il reste difficile de ne pas idéaliser cette Arcadie himalayenne.
La plaine du Zanskar, puis deux villages perdus dans un paysage minéral
C'est la période des moissons, effectuées à la main
Le village de Mulbeg dans le bas Ladakh, véritable oasis dans le désert
Comment définir le paysage du Zanskar? Démesure et minéralité me viennent à l'esprit.
Démesure, car l'échelle de ces montagnes arides, de ces ciels moutonnés par les nuages blancs, dépasse l'entendement humain. L'homme n'est ici qu'un invité qui se façonne de modestes lieux de vie, aux pieds des géants himalayens, à mi-chemin entre l'infini du ciel et l'abîme d'une gorge.
Minéralité, car là où l'homme n'a pas entrepris ses travaux d'irrigation, ce sont les tons bruns ou gris de la roche, illuminés ou ombrés par le jeu du soleil et des nuages, qui s'imposent à perte de vue. Tout ici est rocher, sable, éboulis, promontoires déchiquetés ou arêtes montant à l'assaut du ciel.
Rangdum, petit village du Zanskar perdu au milieu de l'immensité des montagnes
Tours de granit, puis les gorges de la rivière Tsarap
Ocres, beiges et gris dominent la palette de couleurs du Zanskar